Carnet

CARNETS | marie deschênes

25 févr. 2008

lettre à moravagine

Entre ma cervelle, le monde et la mort, il n’y a qu’un point de fuite. Le genre humain ne m’intéresse ni m’étonne, l’idéal gavé de petits hors-d’œuvre de liberté hachée menue, la panse pleine d’illusions indigestes. Je lui préfère les grands espaces vides d’insomnie, les lunes limpides couleur vodka, la dépossession des départs urgents et définitifs. J’ai un aéroport noué dans la gorge, bruyant et venteux comme des mots retenus qui bourdonnent dans ce sommeil où je me tiens comme encore vivante. Partir. Vers quelque approximation, comme l'ivresse, un pays, ou un homme, là où je deviendrai sereine, là où ma cervelle se détachera de mes yeux, et je m'en remettrai à la vitesse, laissant la réalité déraper dans l'imaginaire, et inversement. Il faut anéantir l'empathie et la résignation, devenir action brute, une perte de mémoire qui s’affine plus à chaque chute, à chaque démesure.
Le temps est venu de ne plus croire en rien, le temps est venu de tuer tout espoir. Ne plus regarder devant, ne plus regarder derrière, mais être, partout et nulle part, quitter l’épuisement de vouloir, devenir plus brève que la mort.

23 févr. 2008

ee cummings

somewhere i have never travelled, gladly beyond
any experience, your eyes have their silence:
in your most frail gesture are things which enclose me,
or which i cannot touch because they are too near

your slightest look will easily unclose me
though i have closed myself as fingers,
you open always petal by petal myself as Spring opens
(touching skillfully, mysteriously) her first rose

or if your wish be to close me, i and
my life will shut very beautifully ,suddenly,
as when the heart of this flower imagines
the snow carefully everywhere descending;
nothing which we are to perceive in this world equals
the power of your intense fragility: whose texture
compels me with the color of its countries,
rendering death and forever with each breathing

(i do not know what it is about you that closes and opens;
only something in me understands
the voice of your eyes is deeper than all roses)
nobody, not even the rain, has such small hands

18 févr. 2008

dans la connaissance exacte du désespoir
du rétrécissement de la perspective
par laquelle s'infiltre, dans la clémence
d'un possible printemps
le genre humain et sa littérature
m'ennuient

(où il y a manque lisez une question,
ne lisez plus)


le sens n'en a pas
questions et réponses sont de même nature
il n'y a qu'action qui vaille

14 févr. 2008

lettre à un plagieur

je viens de tomber là dessus en fouillant dans les archives de mon ancien blog, la carneceria. j'avais écrit cette lettre alors qu'un type se plaisait à publier de mes textes (et ceux de patrick brisebois, il me semble, et quelques autres poètes) sous son nom.
je constate qu'il m'arrive parfois de sortir ma langue de ma poche.


pour la forme
vous prenez vos lassitudes en hors d'oeuvre de chair tendre sur le dos des autres
votre robe de viande morte vous sied si bien
vos orbites vides délectées de voir mourir
nos vies le souffle entre vos doigts
serpents
tordus d'envie
d'être autre chose qu'une queue

en trou noir buvez votre soif
jusqu'à la vermine
à l'heure où les aurores ne vous nommeront plus

pissez-vous dessus de longues coulées pour vous laver les mains

le génie est trop près de l'humilité
pour vous en faire un éclat de lumière
au fond des couilles
sans que ça brûle

13 févr. 2008

l'on veut qu'ici achève
ce qu'ici débute

questionnons la liberté
dans ce qu'elle est de physique ;
dehors se résume en soi

les révolutions se répondent
par les miroirs
que l'on voudrait fenêtres

sommes-nous séparés
par notre reflet

11 févr. 2008

cher onirisme

tranchée l'hiver le long grain de ma peau
un hiver de cent ans et quelques siècles et vous
vos bourgeons encore y sont nocturnes
résistant à l'éveil à la mort
qui sommes-nous à peine éclos
sommes-nous traversés
de sève un pont entre la terre
et le ciel notre bouche
irons-nous vers quelle fin

gardons le geste intact ;
ne la nommons pas

5 févr. 2008

dehors

rien à dire. rien à écrire. rien à danser.
je ne veux qu'espace, que sortir, liberté.
pouvoir dire, ou ne pas dire, rien
comment/pourquoi dire? comment créer de l'espace, du silence, ouvrir les possibles?
je n'ai pas envie d'emplir, j'en ai marre du bourdonnement des paroles, j'en ai marre de l'opacité de l'à dire, du moi, du vous, des grands cris inaudibles de la nécessité, personne n'écoute, l'on se répète inlassablement, qu'est-ce que nous sommes cons, minuscules dans l'impossible lenteur du déploiement des choses, notre perspective en abîme, notre misérable tentative d'appartenir au monde.
je n'ai pas envie de répéter, ignorante et sourde. tout est là, sortons de nous-mêmes. j'aimerais [donner] la possibilité d'écouter, de voir.
la parole a-t-elle du sens, est-elle possible? faut-il sans cesse répéter, ajouter des couches à l'opacité? faut-il se taire?
dire ne mène nulle part
qu'en soi-même
ici je m'achève