Carnet

CARNETS | marie deschênes

29 déc. 2010

De l'Amérique au cœur ici chez Starbucks ;
entrées et sorties beaucoup de carton, beaucoup de monde.
Vu de loin, de cette lenteur d'où je suis
tout ce carton va si vite, est si coloré.
Il y a le monde quelque part, sûrement, je ne sais plus.
Tout pourrait tenir ici dans ce Starbucks. Peut-être qu'il n'y a rien en dehors de ce Starbucks.
Ici c'est le monde-carton, une fine couche superficielle
de peinture couvrant le monde d'une peinture du monde ;
feuilles vertes recouvertes de peinture verte, troncs couverts de peinture grise,
marées, glaces et neiges recouvertes de peinture bleue, verte ou blanche.
Ici tout est peint, c'est un monde dont l'apparence est la même que le monde, quel monde, je ne sais plus,
tout semble normal.
Je me demande s'il y a un monde en dehors de Starbucks.
Tout semble normal.

5 déc. 2010

Bréviaire d'épuisements - lancement



Chers lecteurs,

Vous êtes invités à assister au lancement du disque Bréviaire d'épuisements, mardi prochain le 7 décembre de 17h à 19h à la Maison de la Culture du Plateau Mont-Royal, à Montréal.

Bréviaire d'épuisements, fruit du compositeur et percussionniste Isaiah Ceccarelli sur des textes de Marie Deschênes, est une œuvre tissée des fines tensions entre obscurité et clarté : un paysage sonore métallique, ténébreux sur lequel la voix humaine vient risquer la possibilité d'une aurore. Les pièces pour deux chanteuses, deux clarinettes basses, basse de viole et percussions solo ont été composées par Ceccarellli sur les textes de la poète.
« Lorsque le monde s'épuise, la poésie de Marie Deschênes prend le relais avec cette délicatesse crépusculaire que la vie lente et l'espérance violente ne connaissent pas toujours. » -François Rioux

Il s'agira d'un triple lancement des disques DAME/Ambiances Magnétiques, avec performances des musiciens (et de la poète).

Au plaisir de vous y voir,
Marie

24 nov. 2010

Ici le lit est froid, comme la soupe
à Séville on se chauffe avec des souvenirs ;
les oranges en hiver, c'est quand même joli.

19 nov. 2010

Languages

Ignorance is very useful. Just a bit of knowledge kills
what ignorance allows. To be in the world without fear
demands that we don’t fully understand it ; that is why poets and intellectuals
have insomnia and often prefer to stay far from it, in their bibliothèques,
sitting on an old green or burgundy leather chair, or in front of large yet closed window.
In distance, one can view the world more clearly. That is : without fighting
against it, but welcoming it as it is, wholy. There is a form of cowardness
in both postures ; one refuses to confront, prefers to be part of.
Which is which, I do not know.

14 nov. 2010

Discovery

The road led from one room to another. There were stairs
between them, nothing horizontal, all skies. But in
the new room, closer to the stars, there were two beds
instead of one. Their dreams were separated by the unevenness
of the mattresses. They thought of finding something to balance
their beds ; wood, old cardboard. The streets are full of abandoned
curiosities that can have a new life if they are discovered by
someone looking. If not, they remain stuck in, yet deprived from,
endorsing their old role, finding companionship
in rust, time passing, weather’s detailed moods, solitude
and cats, just like rain. But they got accustomed
to the gap and abandoned the idea.

Decisions

« Where do you want to go? » she asked, as the Cathedral stood behind
them, heavy and quiet. He didn’t know. So they walked aimlessly
for an hour, searching for something that could unite their doubts
and fears like rain, a disagreement, an emotion,
an illness or a meal. The bar they both liked, where
they once had an eventful conversation, was
closed that night. They went back home, regretting
not having brought the umbrella.

10 nov. 2010

Je ne sais pas dans quelle langue écrire.

*

Il est midi à Séville et le ciel, que je peux voir d’ici vaste, entier au-dessus de la ville petite sous lui, est lourd, chargé et gris. La pluie diagonale, le vent froid, donnent à Séville un air français, un spleen incongru parmi les orangers. Ce matin aux aurores, l’amant s’en est allé, comme il se doit, comme dans les films, dans un taxi, vitement, vers l’aéroport, avec une douleur contenue, avant que le soleil ne se lève. Évidemment, il pleut sur Séville, il n’aurait pas pu en être autrement et ce sont ces matins-là, où rien n’étonne parce que tout fait si mal que tout fait rire, qu’il faudrait écrire, ces matins-là qu’il faudrait attraper avant qu’ils ne s’effacent. Mais il y a tant à dire et puis, aussi, il reste encore l’espoir; quand on couche une aube sur papier c’est qu’on sait qu’elle est perdue. Or ici, dans cette chambre remplie de l’odeur du tabac, des larmes et de l’amour, parmi le lit sale et défait par les querelles et les caresses de la dernière nuit, il y a l’écho encore proche de promesses et d’aveux, et c’est dans cette chambre qu’il me faut soit espérer, soit écrire.

*

La grisaille du ciel donne, par manque de contraste, aux toits blancs de Séville un air sale, terne. Leurs pâleurs s’ignorent et se confondent dans l’indifférence. De ma fenêtre, le paysage monochrome, dont l’unique relief est créé par la mince ligne brisée de crasse noire qui borde les toits et qui laisse encore vaguement deviner les cubes blancs des maisons, rappelle les toiles d'un peintre américain dont le nom m'échappe en ce moment. (Cela va de soi, semble-t-il).

*

La fatigue anime les humeurs et la lumière de manière étrange, comme des pantins que l’on secoue sans en comprendre l’art ni le mécanisme; rien ne semble à sa place, tout vient à soi brusquement, soudainement, avec maladresse, tout semble vide, de sens et de substance, mais étrangement manipulé par quelque chose qui nous échappe.

*

Apparemment, j'ai décidé d'écrire.

2 nov. 2010

La fenêtre ma chambre donne sur le toit, sa terrasse, les toits tout blancs de Séville. Au loin, les clochers des églises, et plus loin la tour de la Giralda, viennent découper ce paysage cubiste bicolore. Il est rare qu’un nuage vienne tacher le bleu céleste. Il n’y a que la nuit que l’on peut voir, par la fenêtre, lorsque la paupière ne trouve pas le repos, les étoiles, et parfois la lune, percer de petites pointes dans la toile assombrie du ciel andalou.



Cela fera bientôt deux mois que je suis ici à Séville, trois mois que je suis en Europe. Passée de chambres en hôtels en appartements, arrivée ici, dans cette petite chambre simple, sans cuisine, ma favorite, tout en haut de l’édifice de Ralf, l’architecte allemand qui me la loue. Ici je me sens bien ; je suis loin du la rue, de la rumeur constante des nuits sévillanes, ici paisible, au-dessus du monde, lointaine. Me suis achetée une carafe pour avoir de l’eau dans la chambre, la salle d’eau étant sur la terrasse, une petite plaque chauffante pour me faire du thé, un bol, quelques verres. J’ai mon couteau suisse, des chandelles et la paix.

Les classes de danse quotidiennes sont un peu décevantes, me laissent l’impression de n’aller nulle part. Mais parfois on ne sait pas par quels chemins se faufile le savoir, la maîtrise du geste, la mémoire de la musique. Il y a des choses qui passent sans qu’on s’en aperçoive, et si l’on a l’impression de stagner, c’est peut-être que ces chemins ne se trouvent pas devant soi, mais en soi.

Dimanche encore je suis allée à la mer, à Cadiz. De la plage, j’ai couru sur l’eau, sur les grandes plaques qui entourent la Caleta. Ce sont de grandes roches plates couvertes d’algues qui s’enfoncent dans l’océan et qui permettent d’aller assez loin si l’on s’y aventure. Elles sont inégales, chaotiques, morcelées ; certaines frôlent la surface de l’eau, d’autres plus basses nous enfoncent dans la mer jusqu’au genou, mais jamais plus bas. Il y a ça et là de petits trous très profonds, comme des puits naturels, inutiles. L’impression de marcher sur l’eau, d’être parmi la mer, entourée d’océan, est enivrante. Dimanche, les vagues étaient puissantes et, poussée par l’étrange envie d’être submergée par la danse violente et blanche qui m‘entourait, je me suis aventurée un peu trop loin parmi les rochers jusqu’au précipice où s’arrête subitement cette plate cité marine d’un trait très net. Les vagues couvraient par moments les plaques sur lesquelles je sautais, je voulais voir de plus près l’eau s’affaisser dans l’éphémère falaise. Je ne vis pas l’un des petits puits, couvert par la vague du moment, et ma jambe y tomba d’un coup sec, au complet, sans toucher le fond, bloquée uniquement par ma hanche. J’en sortie en riant, le genou ensanglanté, perdue parmi les vagues immenses qui, je réalisai, allaient en effet me submerger si je ne quittais pas l’endroit.

Troisième accident depuis mon arrivée en Espagne, deux fois le même genou. Cette chute cependant, était fort jolie. C'eut été une belle disparition; verticale, marine.

24 oct. 2010

Puisque je ne suis pas encore morte et que le temps de vivre est bien court, vous savez, on vous l'a répété tant de fois, je profite de cette absence d'occasion pour me taguer, M'sieur Gregor ne l'ayant pas fait dans le temps. Je n'ai rien à faire aujourd'hui, et je ne suis pas morte, donc, je m'occupe.
Parce que mon bureau est plus loin de moi qu'il ne l'est de vous, ce sera un exercice mélancolique que d'en faire ici la description.
Je suis à Sevilla. Mon bureau est à Montréal. Lorsque j'écris, ici, ailleurs, je crois organiser ma pensée en fonction de la grande fenêtre qui ici n'est pas, mais sur laquelle donne mon grand bureau blanc, à Montréal. J'aurais aimé pouvoir dire qu'il serait plus juste de décrire cette grande fenêtre si l'on veut décrire mon bureau de travail mais, hélas, comme elle est à la verticale, comme la plupart de ses semblables, rien n'y colle, tout en tombe, et il est très inconfortable d'y travailler. Or, juste dessous, il y a une grande table, blanche, qu'un ancien amour avait laissé derrière lui, il y a fort longtemps de ça. Comme je ne peux me servir de la fenêtre comme bureau, je tiens à ce que, tout de même, la table de travail qui la remplace en garde quelques caractéristiques : ce n'est pas le rangement des objets qui s'y trouvent, mais la limpidité de sa blancheur, qui me préoccupe quotidiennement. Même si elle se trouve quelque part sous des tasses à thé remplies de mégots, des factures impayées, des livres et des gribouillis, les petits morceaux de sa blancheur que l'on aperçoit doivent être impeccables, parce que ce sont eux qui me permettent de voir. Voir quoi, ça dépend. Comme par la fenêtre, il y a des choses et des gens qui passent. Il faut que la fenêtre soit propre. On ne voit jamais que des morceaux de ciel, à la ville. Mais on sait qu'il est là, derrière. Or cette table, elle est blanche, et même s'y elle croule sous les papiers et les saletés, je sais qu'elle est blanche en dessous.

26 sept. 2010

Aujourd’hui, alors que parmi la canicule, la pâle
odeur de jasmin les voisins faisaient l’amour
bruyamment, je lu un poème qui me fit penser à vous.
Je fermai les yeux pour tenter de revivre,
comme cet après-midi où vous étiez près de moi, ce rêve d’Algérie
que nous avions fait sous l’arbre vous et moi. Jamais
il n’y eu d’arbre pas plus que vous n’avez été
près de moi. L'Algérie et le rêve pourtant
par la fenêtre entrouverte demeurent même sans
vous dans ce ciel étranger.

26 avr. 2010

la femme sans poème se tient en elle sans elle la mer
dans un sac
au bout d'un bâton la mer
en cas de soif elle n'a pas soif mais elle est prête
sans poème et sans chant et sans elle
elle va peu sûre mais tout de même et seule et vite elle va
son doute à bout de bras elle creuse
la pupille et le chemin
creuse son courage
creuse sa soif

5 avr. 2010

charlton n'a pas l'usage de la parole
il tire des conclusions l'amérique imprimée sur
la langue
il tire black and white sans se soucier des nuances
tourne des films dans ta tête
sans permission et dans sa langue
veut être le vainqueur veut te marier en blanc
l'important c'est de savoir qui est le méchant
dieu aime ta langue il la marie la promène vêtue de blanc
c'est elle qu'il invoque quand vous jouissez
colle son nom bang bang dans ton cœur au fer rouge
ton cœur phœnix vierge au banc des accusés
monture de race et bien domptée

26 mars 2010

bois, amour, les étoiles
sont dessous, derrière nous
nous n'avons plus rien à perdre
puisqu'elles le sont
penchons-nous pour boire
aux failles qu'elles ont laissé
ton regard sur le monde et mon rire
à la renverse

14 mars 2010

lettre à Isaiah

c'est en dandys que nous nous noierons cher ami
dans un spleen aquoiboniste sans aucune ambition
insupportables et las
regardant le monde courir à sa perte avec indifférence
loin de la vulgarité du travail et de l'ambition
nous passerons notre temps
à palabrer à citer cioran avec inexactitude à trouver le monde laid
nous perdrons notre temps
dans les églises les musées et les bistrots
parce que l'ami
qu'y a-t-il d'autre que ça
dieu l'art et le vin
c'est un peu la même chose

6 févr. 2010

Marie aux attaches fines la terre ne tient pas
c'est peut-être lorsqu'un rien la soulève
qu'elle saisit l'attraction
la chute lui rappelle l'existence
des os

5 févr. 2010

immaculée et l'homme
hors du cercle
te prend la tête
la refaçonne
avec du vide