Carnet

CARNETS | marie deschênes

22 oct. 2007

en perle de verre - (comme une) lettre à marc - 2

à cette époque t’en souviens-tu je m’abîmais
tu le savais tu me voyais arriver les yeux en cendre
à toute vitesse vacillante au bord de rien

je me traînais le désespoir aux heures mortes des musées
j’aimais me trouver dans ces salles vides
au milieu d’œuvres qu’on ne regarde pas
j’avais l’impression de disparaître comme elles

sous les néons réguliers de 17h30, parfois on se croisait
par hasard tu me parlais de ténèbres remarquables
moi je ne savais pas parler je n’étais que charbon
mes yeux mes cheveux ma voix tout noirs
porto écorché aux ongles sans cigare
(je me croyais invisible mais n'étais que transparente)
vêtue d’à peine assez de dentelle pour me voiler le cœur
parce que de toute façon toi marie tu n’aimes personne
c’est toi qui me disais ça
t’en souviens-tu marc

toi seul étais capable de me trouver
dans les dédales de mes accidents
mes inconséquences de jeune fille aux prises avec la liberté
toi seul te résignais à monter les quatre-vingt-dix-huit marches étroites qui menaient à mon bain au-dessus du bloc rose
où bien souvent je me noyais nue dans mes robes
quand de mon hublot de marée basse
je regardais la croix presque illuminer mes urgences
comme des allumettes cheap qui prennent pas

il y avait mingus mon ivresse à repeat à n’entendre plus rien
mes amours mes poèmes remis à plus tard
mes nuits passées seule à causer avec le destin
les fleurs de monnaie macadam ramassées sous les bottes
25 sous la réglisse torsadée mon ennui
sous la pluie à défaut de musique
la pluie cohen la pluie barbara la pluie buckley
plus que la pluie plus rien que ça plus plus rien
pas même toi qui cognais et cognais et cognais
au hasard de me trouver
dans ma petite chambre écrasée sous le lit


il y a longtemps de ça
je ne me souviens plus de quelle couleur était le ciel
s’il y en avait un
mais je crois qu’il ressemblait vaguement à un toit de voiture
vert, et troué
c'est à ce ciel moisi d’une cuba égarée que nous inventions nos géographies de danger
sans se regarder, plantés en nous-mêmes comme deux clous rouillés
à fumer des paysages épuisés sous le marteau de boulez
moi je crevais de partir
mais il n’y avait que des nuits opaques à cette époque te souviens-tu
et des rues qui tournaient en rond sous la voiture
saint-denis sherbrooke st-denis ontario saint-denis
des variations de rues en mi mineur
jouées par glenn gould en 55 même si c’est la version qu’on aime moins
parce qu’elle s’essouffle parce qu’elle meurt trop vite

les paysages s’épuisaient
à quoi bon tout le reste
tout fini par finir
blabla et rebla
je suis partie
pas toi
comme d'habitude


je ne l’ai jamais lu ce livre que tu m’as donné, tu me connais
j’ai préféré perdre plutôt que d’apprendre par cœur les règles du jeu
même si je me retrouve avec la tête pleine de musique
mais personne pour qui chanter
je chante pour rien je chante pour personne
comme d’habitude

où es-tu, l’ami
toi qui ne me lis plus
ne m’écris plus
ne monte plus mes marches
es-tu mort avec nos révolutions


Marc
adieu, comme d'habitude

tu salueras pascale, madeleine et mathis

embrasse mathis
mais le dis pas aux autres


marie