Carnet

CARNETS | marie deschênes

24 nov. 2010

Ici le lit est froid, comme la soupe
à Séville on se chauffe avec des souvenirs ;
les oranges en hiver, c'est quand même joli.

19 nov. 2010

Languages

Ignorance is very useful. Just a bit of knowledge kills
what ignorance allows. To be in the world without fear
demands that we don’t fully understand it ; that is why poets and intellectuals
have insomnia and often prefer to stay far from it, in their bibliothèques,
sitting on an old green or burgundy leather chair, or in front of large yet closed window.
In distance, one can view the world more clearly. That is : without fighting
against it, but welcoming it as it is, wholy. There is a form of cowardness
in both postures ; one refuses to confront, prefers to be part of.
Which is which, I do not know.

14 nov. 2010

Discovery

The road led from one room to another. There were stairs
between them, nothing horizontal, all skies. But in
the new room, closer to the stars, there were two beds
instead of one. Their dreams were separated by the unevenness
of the mattresses. They thought of finding something to balance
their beds ; wood, old cardboard. The streets are full of abandoned
curiosities that can have a new life if they are discovered by
someone looking. If not, they remain stuck in, yet deprived from,
endorsing their old role, finding companionship
in rust, time passing, weather’s detailed moods, solitude
and cats, just like rain. But they got accustomed
to the gap and abandoned the idea.

Decisions

« Where do you want to go? » she asked, as the Cathedral stood behind
them, heavy and quiet. He didn’t know. So they walked aimlessly
for an hour, searching for something that could unite their doubts
and fears like rain, a disagreement, an emotion,
an illness or a meal. The bar they both liked, where
they once had an eventful conversation, was
closed that night. They went back home, regretting
not having brought the umbrella.

10 nov. 2010

Je ne sais pas dans quelle langue écrire.

*

Il est midi à Séville et le ciel, que je peux voir d’ici vaste, entier au-dessus de la ville petite sous lui, est lourd, chargé et gris. La pluie diagonale, le vent froid, donnent à Séville un air français, un spleen incongru parmi les orangers. Ce matin aux aurores, l’amant s’en est allé, comme il se doit, comme dans les films, dans un taxi, vitement, vers l’aéroport, avec une douleur contenue, avant que le soleil ne se lève. Évidemment, il pleut sur Séville, il n’aurait pas pu en être autrement et ce sont ces matins-là, où rien n’étonne parce que tout fait si mal que tout fait rire, qu’il faudrait écrire, ces matins-là qu’il faudrait attraper avant qu’ils ne s’effacent. Mais il y a tant à dire et puis, aussi, il reste encore l’espoir; quand on couche une aube sur papier c’est qu’on sait qu’elle est perdue. Or ici, dans cette chambre remplie de l’odeur du tabac, des larmes et de l’amour, parmi le lit sale et défait par les querelles et les caresses de la dernière nuit, il y a l’écho encore proche de promesses et d’aveux, et c’est dans cette chambre qu’il me faut soit espérer, soit écrire.

*

La grisaille du ciel donne, par manque de contraste, aux toits blancs de Séville un air sale, terne. Leurs pâleurs s’ignorent et se confondent dans l’indifférence. De ma fenêtre, le paysage monochrome, dont l’unique relief est créé par la mince ligne brisée de crasse noire qui borde les toits et qui laisse encore vaguement deviner les cubes blancs des maisons, rappelle les toiles d'un peintre américain dont le nom m'échappe en ce moment. (Cela va de soi, semble-t-il).

*

La fatigue anime les humeurs et la lumière de manière étrange, comme des pantins que l’on secoue sans en comprendre l’art ni le mécanisme; rien ne semble à sa place, tout vient à soi brusquement, soudainement, avec maladresse, tout semble vide, de sens et de substance, mais étrangement manipulé par quelque chose qui nous échappe.

*

Apparemment, j'ai décidé d'écrire.

2 nov. 2010

La fenêtre ma chambre donne sur le toit, sa terrasse, les toits tout blancs de Séville. Au loin, les clochers des églises, et plus loin la tour de la Giralda, viennent découper ce paysage cubiste bicolore. Il est rare qu’un nuage vienne tacher le bleu céleste. Il n’y a que la nuit que l’on peut voir, par la fenêtre, lorsque la paupière ne trouve pas le repos, les étoiles, et parfois la lune, percer de petites pointes dans la toile assombrie du ciel andalou.



Cela fera bientôt deux mois que je suis ici à Séville, trois mois que je suis en Europe. Passée de chambres en hôtels en appartements, arrivée ici, dans cette petite chambre simple, sans cuisine, ma favorite, tout en haut de l’édifice de Ralf, l’architecte allemand qui me la loue. Ici je me sens bien ; je suis loin du la rue, de la rumeur constante des nuits sévillanes, ici paisible, au-dessus du monde, lointaine. Me suis achetée une carafe pour avoir de l’eau dans la chambre, la salle d’eau étant sur la terrasse, une petite plaque chauffante pour me faire du thé, un bol, quelques verres. J’ai mon couteau suisse, des chandelles et la paix.

Les classes de danse quotidiennes sont un peu décevantes, me laissent l’impression de n’aller nulle part. Mais parfois on ne sait pas par quels chemins se faufile le savoir, la maîtrise du geste, la mémoire de la musique. Il y a des choses qui passent sans qu’on s’en aperçoive, et si l’on a l’impression de stagner, c’est peut-être que ces chemins ne se trouvent pas devant soi, mais en soi.

Dimanche encore je suis allée à la mer, à Cadiz. De la plage, j’ai couru sur l’eau, sur les grandes plaques qui entourent la Caleta. Ce sont de grandes roches plates couvertes d’algues qui s’enfoncent dans l’océan et qui permettent d’aller assez loin si l’on s’y aventure. Elles sont inégales, chaotiques, morcelées ; certaines frôlent la surface de l’eau, d’autres plus basses nous enfoncent dans la mer jusqu’au genou, mais jamais plus bas. Il y a ça et là de petits trous très profonds, comme des puits naturels, inutiles. L’impression de marcher sur l’eau, d’être parmi la mer, entourée d’océan, est enivrante. Dimanche, les vagues étaient puissantes et, poussée par l’étrange envie d’être submergée par la danse violente et blanche qui m‘entourait, je me suis aventurée un peu trop loin parmi les rochers jusqu’au précipice où s’arrête subitement cette plate cité marine d’un trait très net. Les vagues couvraient par moments les plaques sur lesquelles je sautais, je voulais voir de plus près l’eau s’affaisser dans l’éphémère falaise. Je ne vis pas l’un des petits puits, couvert par la vague du moment, et ma jambe y tomba d’un coup sec, au complet, sans toucher le fond, bloquée uniquement par ma hanche. J’en sortie en riant, le genou ensanglanté, perdue parmi les vagues immenses qui, je réalisai, allaient en effet me submerger si je ne quittais pas l’endroit.

Troisième accident depuis mon arrivée en Espagne, deux fois le même genou. Cette chute cependant, était fort jolie. C'eut été une belle disparition; verticale, marine.