Carnet

CARNETS | marie deschênes

2 nov. 2010

La fenêtre ma chambre donne sur le toit, sa terrasse, les toits tout blancs de Séville. Au loin, les clochers des églises, et plus loin la tour de la Giralda, viennent découper ce paysage cubiste bicolore. Il est rare qu’un nuage vienne tacher le bleu céleste. Il n’y a que la nuit que l’on peut voir, par la fenêtre, lorsque la paupière ne trouve pas le repos, les étoiles, et parfois la lune, percer de petites pointes dans la toile assombrie du ciel andalou.



Cela fera bientôt deux mois que je suis ici à Séville, trois mois que je suis en Europe. Passée de chambres en hôtels en appartements, arrivée ici, dans cette petite chambre simple, sans cuisine, ma favorite, tout en haut de l’édifice de Ralf, l’architecte allemand qui me la loue. Ici je me sens bien ; je suis loin du la rue, de la rumeur constante des nuits sévillanes, ici paisible, au-dessus du monde, lointaine. Me suis achetée une carafe pour avoir de l’eau dans la chambre, la salle d’eau étant sur la terrasse, une petite plaque chauffante pour me faire du thé, un bol, quelques verres. J’ai mon couteau suisse, des chandelles et la paix.

Les classes de danse quotidiennes sont un peu décevantes, me laissent l’impression de n’aller nulle part. Mais parfois on ne sait pas par quels chemins se faufile le savoir, la maîtrise du geste, la mémoire de la musique. Il y a des choses qui passent sans qu’on s’en aperçoive, et si l’on a l’impression de stagner, c’est peut-être que ces chemins ne se trouvent pas devant soi, mais en soi.

Dimanche encore je suis allée à la mer, à Cadiz. De la plage, j’ai couru sur l’eau, sur les grandes plaques qui entourent la Caleta. Ce sont de grandes roches plates couvertes d’algues qui s’enfoncent dans l’océan et qui permettent d’aller assez loin si l’on s’y aventure. Elles sont inégales, chaotiques, morcelées ; certaines frôlent la surface de l’eau, d’autres plus basses nous enfoncent dans la mer jusqu’au genou, mais jamais plus bas. Il y a ça et là de petits trous très profonds, comme des puits naturels, inutiles. L’impression de marcher sur l’eau, d’être parmi la mer, entourée d’océan, est enivrante. Dimanche, les vagues étaient puissantes et, poussée par l’étrange envie d’être submergée par la danse violente et blanche qui m‘entourait, je me suis aventurée un peu trop loin parmi les rochers jusqu’au précipice où s’arrête subitement cette plate cité marine d’un trait très net. Les vagues couvraient par moments les plaques sur lesquelles je sautais, je voulais voir de plus près l’eau s’affaisser dans l’éphémère falaise. Je ne vis pas l’un des petits puits, couvert par la vague du moment, et ma jambe y tomba d’un coup sec, au complet, sans toucher le fond, bloquée uniquement par ma hanche. J’en sortie en riant, le genou ensanglanté, perdue parmi les vagues immenses qui, je réalisai, allaient en effet me submerger si je ne quittais pas l’endroit.

Troisième accident depuis mon arrivée en Espagne, deux fois le même genou. Cette chute cependant, était fort jolie. C'eut été une belle disparition; verticale, marine.

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